lundi 8 novembre 2010

UNCOMFORTABLE


UNCOMFORTABLE est une exposition du collectif Modèle

Puissance au 116/lieu de création, au Havre du 2 au 17 novembre
2010. Jean-Philippe Bretin, Vanessa Dziuba, Julien Kedryna et
Nicolas Nadé ont installé leurs dessins sur la cimaise du fond
et saturé le reste de l’espace d’une construction à la fois précaire
et ingénieuse, faite de planches de contreplaqué, de cordes
et de galets. Imaginée pour souligner l’inconfort des conditions
d’exposition (l’espace, avec sa large vitrine, est assez inadapté
à l’accrochage d’oeuvres graphiques), la scénographie semble se
retourner contre le visiteur dont la déambulation est largement
contrainte, voire périlleuse.

À cette incommodité physique vient encore s’ajouter celle de
la vision. Aucun recul possible : le spectateur est privé de son
privilège de distanciation. Qu’il n’essaie même pas d’opérer une
quelconque mise au point sur les zones de flou d’une aquarelle
ou d’un crayon de papier estompé, sur le fourmillement de détails
dessinés au stylo bille ou encore sur la juxtaposition de traits
de feutres soigneusement serrés les uns contre les autres. Il lui
sera tout aussi vain de s’évertuer à fixer l’unité qui se cacherait
derrière la diversité de ce qui est donné à voir. Le collectif Modèle
Puissance semble en effet avoir évacué de son propos toute
illusion rationaliste qui consisterait à débusquer la répétition
dans la différence. Si modèle il y a, il n’est pas normatif, mais se
dessine au contraire dans une mouvante et puissante dynamique.
Leur communauté artistique n’est pas fondée sur le principe du
même ou de la ressemblance, mais sur celui de l’étrangeté et de
la contingence de la rencontre. Random, un recueil de dessins
auto-édité en 2009, procédait par exemple d’associations
aléatoires entre les travaux des quatre artistes qui avaient déjoué
l’organisation de l’imprimeur pour produire 100 exemplaires
uniques d’un même ouvrage.
Un paradoxe similaire se joue dans les dessins que Nicolas
Nadé réalise à la feuille carbone comme dans ceux qu’il passe
et repasse dans le photocopieur jusqu’à obtention d’une qualité
de noir jugée satisfaisante. L’artiste détourne dans les deux cas
la fonction de duplication de l’outil pour créer des originaux ; de
banals instruments de reprographie deviennent ainsi les supports
d’expérimentations graphiques. Julien Kedryna et Jean‑Philippe
Bretin portent quant à eux une attention particulière aux
potentialités de techniques plus traditionnelles. Le premier
travaille notamment sur la confrontation entre les propriétés de
capillarité de l’aquarelle, l’épaisseur de la peinture et la précision
du feutre, parfois contrariée par le défaut mécanique de la règle
qui fait baver le trait. Le second associe à l’un de ses personnages,
Serpan, des formes (abstraites ou évoquant la nature factice
des parcs zoologiques) dont le modelé doit bien plus à la nature
de l’outil (plume, pinceau) et aux accidents du tracé, qu’à une
science élaborée de la perspective. D’une façon plus préméditée,
les recherches graphiques et plastiques de Vanessa Dziuba
entretiennent une confusion entre des dessins mimant des
volumes et des sculptures feignant la planéité (idée de passage se
matérialisant par ailleurs dans la fluidité des motifs de réseaux
et de coulées). L’installation collectivement conçue pour l’occasion
constitue d’ailleurs une tentative comparable de conversion de la
ligne et de la surface dans un espace tridimensionnel.

Ce jeu de traduction est également à l’origine du titre de
l’exposition. Ayant précédemment intitulé « Mon Singe » une
exposition à l’espace My Monkey à Nancy ou encore « Paradis
total » une autre chez Total Heaven à Bordeaux, le collectif a
éprouvé les limites de sa méthode, et y a par là même introduit
une part d’arbitraire, quand il a été confronté à un nom sous forme
de chiffres. C’est ainsi que « 116 » est, par glissement sonore,
devenu « sans aise » avant d’être converti en UNCOMFORTABLE.

Cécilia Le Métayer

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